Règles de la Concurrence et Crise Climatique

Découvrez comment les règles de la concurrence, souvent perçues comme neutres, peuvent entraver l'innovation et aggraver la crise climatique en favorisant des pratiques à court terme et en négligeant les comportements durables.

ECOLOGIE

Q2d

7/20/2025

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Contexte : Faut-il repenser les règles du jeu pour le climat ?

Bonjour à toutes et à tous ! Après avoir interrogé les limites du PIB, nous continuons notre exploration des modèles économiques dominants. Aujourd'hui, nous allons nous attaquer à une idée bien ancrée : la libre concurrence mène-t-elle toujours à l'efficacité ? Et si la coopération était, en fait, notre meilleure alliée pour relever les défis écologiques ? C'est ce que propose Gaël Giraud.

Introduction: Marché et climat

Les règles de la concurrence sont souvent présentées comme neutres, voire vertueuses. Elles garantiraient innovation, croissance et efficacité. Pourtant, à l’heure de la crise climatique, ces mêmes règles posent problème : elles favorisent des pratiques à court terme, des externalités environnementales massives, et rendent difficile la valorisation des comportements durables.

Pourquoi une entreprise polluante peut-elle produire à bas coût sans en payer le vrai prix écologique ? Pourquoi les marchés sanctionnent-ils parfois les entreprises qui investissent dans la transition ?

Face à ces paradoxes, repenser les règles du jeu économique devient une nécessité pour aligner marché et climat.

Cet article explore les limites du cadre concurrentiel actuel, ses effets pervers sur l’environnement, et les pistes d’un nouveau modèle plus juste et soutenable.

La libre concurrence : Une fiction aux conséquences réelles

Pendant longtemps, les économistes ont considéré les ressources naturelles (air, eau, écosystèmes) comme inépuisables, les plaçant ainsi en dehors du champ de l'économie. Jean-Baptiste Say, dès 1803, affirmait que ces richesses "ne sont pas l'objet des sciences économiques". Adam Smith, avec sa célèbre "main invisible", suggérait que la poursuite de l'intérêt individuel menait naturellement au bien-être collectif.

Pourtant, cette vision est aujourd'hui fortement remise en question. Le prix Nobel d'économie Lloyd Shapley a démontré, par la théorie des jeux stratégiques, qu'il n'existe aucune preuve que la dérégulation des marchés permette d'éliminer les distorsions de prix, même en l'absence d'oligopoles.

Plus frappant encore, Shapley nous invite à repenser ce que signifie "efficace". Pour lui, la valeur d'un acteur économique se mesure aux pertes que sa cessation d'activité infligerait à la société. Autrement dit, si les centrales de retraitement des déchets d'une grande ville tombent en panne, les conséquences sont immédiates et dramatiques. Or, ce qui est vital en temps de crise l'est aussi au quotidien. Une allocation "efficace" des ressources devrait donc rémunérer ces professions essentielles à la hauteur de leur importance vitale. Pourtant, même un marché sans distorsion ne rémunérerait jamais des manutentionnaires aussi bien que des stars du show-business, dont la société peut pourtant se passer bien plus facilement. Cela montre que le marché ne valorise pas ce qui est vraiment vital pour notre survie collective.

Le dilemme du prisonnier : Quand la compétition nous pousse au pire

Le concept du "dilemmme du prisonnier", introduit par Albert W. Tucker en 1950, illustre parfaitement pourquoi la compétition pure n'est pas toujours la meilleure voie. C'est une situation où deux acteurs auraient tout intérêt à coopérer, mais si la communication est absente, chacun choisit de "trahir" l'autre en poursuivant son intérêt égoïste. Le résultat ? Une issue moins favorable pour tous que s'ils avaient choisi de coopérer dès le départ.

Ce dilemme s'applique de plein fouet à la gestion de nos biens communs, notamment face au changement climatique. Prenons l'exemple des marchés de quotas d'émissions de Gaz à Effet de Serre, comme le système ETS de l'Union Européenne. Le Système d'Échange de Quotas d'Émission de l'Union Européenne (SEQE-UE), ou EU ETS en anglais, est un système de tarification du carbone qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Chaque pays a privilégié ses propres intérêts, ce qui a maintenu le prix de la tonne de carbone à environ 5 €, un montant largement insuffisant pour inciter réellement à la réduction des émissions de CO2​ (un prix supérieur à 20 € serait nécessaire).

La gestion de l'euro offre un autre exemple : l'absence de budget européen unifié et d'harmonisation fiscale met les États en concurrence, conduisant à une baisse des recettes fiscales sans solution en cas de crise grave.

Le réchauffement climatique exige une prise en compte globale de nos écosystèmes et ressources naturelles comme des biens communs. Des initiatives comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et la CCNUCC sont des premiers pas vers une coopération internationale essentielle pour dépasser cette logique de compétition et construire la gestion des biens communs mondiaux.

La CCNUCC est une « Convention de Rio », l'une des trois adoptées lors du « Sommet de la Terre de Rio » en 1992.

Le fondamentalisme de marché : Un frein à l'action climatique

La théorie économique dominante est souvent accusée de "fondamentalisme de marché". Elle soutient que le marché, via le prix librement établi, améliorerait toujours le bien-être de la société et résoudrait les conflits d'intérêts privés. Dans cette vision, les "externalités négatives" (comme la pollution par le carbone) ne sont pas prises en compte.

Cette théorie repose sur des constructions mathématiques complexes (comme la théorie de l'équilibre général de Walras, Arrow et Debreu) qui sont malheureusement déconnectées de la réalité. Elles s'appuient sur des conditions irréalistes : information parfaite, absence d'impact des décisions sur les prix, absence d'externalités, et marchés financiers capables de couvrir tous les risques.

De plus, le critère d'optimalité souvent utilisé, l'"optimum de Pareto", est un critère "minimal d'efficacité" qui ne garantit absolument pas l'équité ou le bien commun. Une situation où une personne détient tout et une autre rien est un optimum de Pareto, car on ne peut améliorer le sort de la seconde sans pénaliser la première.

La crise financière de 2008 a d'ailleurs prouvé l'inefficience des marchés financiers, dont la théorie reposait sur des conditions tout aussi irréalistes. Pourtant, cette même théorie erronée justifie l'absence d'actions de régulation drastiques face au climat. Le problème, c'est que le dérèglement climatique ne nous offrira pas un "effondrement rapide" comme la finance, mais un dérèglement lent et profond, propice à l'aveuglement par la course aux profits immédiats.

Les économistes qui tentent d'alerter sur ces erreurs, comme Nicholas Stern ou les concepteurs de divers MOOCs, ont encore du mal à se faire entendre. Ils ont besoin de notre soutien pour lutter contre le réchauffement climatique.

Conclusion : Vers une économie de la coopération

La pensée dominante qui glorifie la seule compétition et l'efficience des marchés est un obstacle majeur à la transition écologique. Elle nous aveugle sur l'importance vitale de certaines activités et nous enferme dans un "dilemme du prisonnier" où la recherche de l'intérêt individuel mène à la destruction collective.

Pour affronter le changement climatique et gérer durablement nos ressources, il est impératif d'intégrer la coopération au cœur de nos modèles économiques. C'est en travaillant ensemble, en reconnaissant les limites du marché et en valorisant ce qui est essentiel, que nous pourrons construire un avenir plus juste et plus durable.